Take Away Show #74 _ VIC CHESNUTT
Vic Chesnutt a donné, l’autre jour à La Cigale, l’un de ces concerts qui exercent le même effet d’accompagnement qu’un grand film. Le spectacle s’achève, et vous êtes encore « dedans ». Le métro vous dépose à la maison, mais votre conscience est restée dans la salle. Toutes les horreurs du monde s’échappent de la radio au réveil, mais c’est encore l’artiste qui vous parle à l’oreille. Garrincha a écrit ici même les choses comme elles devaient l’être sur ce concert magnifique, totale sublimation de l’album publié récemment chez Constellation, North Star Deserter. Des concerts de ce type sont une pure rareté, mais 2007 en aura au moins livré un autre : le show d’A Silver Mount Zion en avril dernier au Cabaret sauvage. Le groupe canadien ayant écrit et enregistré le disque avec Vic Chesnutt, ceci explique sans doute en partie cela. En partie seulement. Constellation et ses mythiques collectifs n’existaient pas, que Vic Chesnutt avait déjà publié Drunk et Is the actor happy.
Tout commence ici par Sponge, un vieux morceaux enregistré par Vic Chesnutt en 1991, sur son deuxième album, West of Rome. Du folk triste, intense et plaintif porté par un timbre unique. Du Vic Chesnutt. Warm, morceau d’ouverture de l’album et du show (ceux qui ont entendu « Warm, the body is warm » ouvrir le concert de la Cigale en pleurent encore) arrive ensuite. C’est encore du « Vic », mais les cordes pincées de la contrebasse font timidement pénétrer son répertoire dans l’univers de Constellation. Vient enfin Glossolalia, du Vic Chesnutt plus mélodique que jamais, plus « grave » aussi, avec ce génial accompagnement de contrebasse jouée à l’archet, qui embrasse avec lui toutes les notes du chant dans un arrangement génial. L’influence du groupe canadien est ici tonitruante.
Ne le prenez pas mal : ces trois Concerts à emporter ne pourront pas vous faire ressentir ce qui s’est passé sur scène ce soir-là ; c’est hors de portée de notre entreprise. Mais cette information ne gênera, après tout, que ceux qui y étaient. Pour les autres, ces trois films offrent bien l’essentiel : un concentré de l’émotion brute qui escorte la musique de l’Américain depuis qu’il a une carrière publique, c’est-à-dire quasiment vingt ans ; et une parcelle de l’éclat que lui ont donné les Silver Mount Zion depuis qu’ils travaillent ensemble, c’est-à-dire quelques mois.
Il est rare que les talents combinés de deux artistes s’additionnent complètement sans soustraire à l’autre une partie de ce qui les rend uniques. Concevoir qu’ils se bonifient mutuellement relève généralement du pur fantasme. C’est pourtant ce qui s’est produit entre Vic Chesnutt et les Silver Mount Zion, et d’ailleurs la dette mutuelle que se vouent tous les musiciens était physiquement palpable sur la scène. Ces trois Concerts à emporter en sont une démonstration. Le duo donne une esquisse du tableau. Il manque des détails, mais fondamentalement, tout y est. Les trois films, pris dans l’ordre, dessinent même une sorte de progression : d’où Chesnutt et parti et où ce travail l’a mené.
Le décor est ténébreux. Les murs, épuisés. Vic Chesnutt ne s’est pas encore rasé avant de se donner en spectacle. La lumière orangée échappée du plafond souligne les traits cabossés de l’artiste. La puissance déployée par l’auteur de Drunk s’y révèle plus impudique que jamais.
Mais il y a bien longtemps que Vic Chesnutt a arrêté de se poser mille question sur ce qu’est la bienséance lorsqu’il s’agit d’interpréter ses émotions. A la Cigale, le meilleur moment du show était probablement celui-ci : Vic Chesnutt, annonce Fodder on her wings, un morceau de Nina Simone situé au cœur de l’album, « l’une de (ses) chansons préférées de tous les temps ». Applaudissements convenus. D’où cette réaction épidermique. « This is all for Nina Simone here ? Son of a bitch ! SON OF A BITCH ! ». Sur cette chanson, son timbre épouse comme par magie celui de la diva. Qu’il interprète sa musique ou celle des autres, Vic Chesnutt donne tout, sans concession. Visionnez, c’est violent.
text by rouquinho
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